Publié par COCCOLOBA - Le Magazine de la Vie à Saint-Barth
Édition N°07 février 2021 (Pages 36-38)
Propos recueillis par Claire Richer

 

 

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« St Barth An Tan Lontan » 

Exposition d'art de Rémy de Haenen au Musée territorial du Wall House du 17 février au 15 avril 2021.

Rencontre avec l'artiste Rémy de Haenen

 

Claire Richer: Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

 

Rémy de Haenen: J'ai commencé à peindre dans les années 60 quand j’étudiais à Paris. à cette époque, ce fut un désir spontané qui me conduit à réaliser des peintures sur plaques de bois, avec des superpositions de matériaux, et d'acrylique. J'étais étudiant à l'université. Les années à Paris ont été très créatives. Je puisais mon inspiration en visitant les musées et surtout ceux d’art moderne, en plus d’expositions dans les galeries, des vernissages, etc... J'ai beaucoup peint à cette époque, Mais l'art n'était pas mon activité principale, j’exerçais d’autres activités pour me permettre de payer mes études.

 

J’ai ensuite évolué professionnellement dans le monde de la finance, laissant un peu de côté la production de travail artistique. C’est à la suite d’un bouleversement total dans ma vie, ma séparation et les problèmes répétitifs de l’économie en Argentine, que mon travail artistique est devenu comme activité principale. À partir de 2001, je me consacre à l'aviation, ma deuxième passion. En fait, beaucoup de mes peintures ressentent des avions ou comportent des parties aéronautiques. Mais la transition pour s'y mettre sérieusement a été longue.

 

Finalement, mon identité a quelque chose de métissée, issue de la Caraïbe.

 

Je considère que l’identité n’est pas seulement donnée par son lieu de naissance. Elle peut être façonnée aussi par les personnes que l’on aime, les pays où l’on a vécu et les choses qui ont influencé notre vie. Je me sens être un mélange de Hollandais, Français, Anglais et des Îles de la Caraïbe.

L'artiste Rémy de Haenen devant son tableau Sentié ta la ka fait moin swé, 2020 Oil on canvas (55.12 x 68.90 x 1.97 in / 140 x 175 x 5 cm )

Claire Richer: Quel est votre lien et vision sur Saint-Barth ?

 

Rémy de Haenen: J’ai passé ma jeunesse entre Saint-Barth et la Martinique. Il y a constamment dans mon travail un retour à mon enfance, qui a été très heureuse à Saint-Barth, un lieu extraordinaire, avec une totale liberté. Notre maison à l’Eden Rock était ouverte jour et nuit, je partais seul en bateau, je faisais de la pêche sous-marine tous les jours etc. Le tout avec une indépendance totale et une étendue de possibilités qui m'ont beaucoup marqué. Aussi, et c'est très important, mon enfance s’est déroulée dans une société mixte, je parle parfaitement le Créole, j’étais en permanence avec des gens de cultures différentes. La photo que vous voyez sur mon WhatsApp est une dame de la Martinique qui m'a élevé. Elle savait soigner mes blessures et brûlures avec des substances mystérieuses, que la nature lui avait enseignée. Quand j'avais une arête de poisson coincée dans la gorge, elle posait sur ma tête l’assiette avec laquelle j'avais mangé, elle récitait quelque chose d'inintelligible et elle disait « maintenant avale », et l'épine avait disparu. J'ai vécu avec elle un monde magique qui se reflète dans mon travail.

 

À l’Eden Rock je faisais des travaux variés : mettre en route à 18h précises le Lister diesel qui donnait de l’électricité et l’éteindre à 22h, aller par la plage de Saint-Jean à pieds jusqu’au Moulin avec deux bidons d’essence (il faut le faire..) pour les avions, recevoir et peser les langoustes et poissons que nous apportaient les pêcheurs le matin vers 10 heures sur la plage, mettre en pâturage les grosses tortues que nous apportaient ces mêmes pêcheurs et d’autres anecdotes dont la liste serait interminable.

Rémy de Haenen Moin ka arrivé an tet'la, 2020 Oil on canvas (59.06 x 57.09 x 1.57 in / 150 x 145 x 4 cm)

Rémy de Haenen Jou gran ouvè, 2020 Oil on canvas (57.09 x 72.83 x 1.97 in / 145 x 185 x 5 cm)

Rémy de Haenen Manman soleil la ka peté, 2020 Oil on canvas (57.09 x 72.83 x 1.97 in / 145 x 185 x 5 cm )

Claire Richer:Qu'est-ce qui caractérise votre travail ?

 

Rémy de Haenen: Je pense personnellement que j’ai plus à voir avec des questions qu’avec des réponses dans ma créativité. Un artiste, à mon avis, n’est pas celui qui cherche à illuminer l’humanité en donnant des réponses à des questions universelles qui nous angoissent. Au contraire, je pense que c’est quelqu’un qui se pose des questions à lui-même et traduit ses réponses dans ses œuvres pour transmettre ce qui pour lui est le plus essentiel.

 

Dans mon travail, il y a des souvenirs de ma vie et de ce qui était la réalité à un moment ou à un autre. Je tente de capturer dans de nouvelles images cette réalité vécue, visible, passée et éphémère. Rien n’est solide dans la mémoire. Nos pensées ne retiennent que des traces, des schémas, le temps fait son œuvre : mes peintures retracent ce processus incertain.

 

De cette réalité fragmentée, je reconstruis une perspective un peu abstraite, assemblant des faits concrets avec l'imaginaire, avec un réalisme magique, avec la fiction et des états d’âme.

J'essaie aussi de transmettre le sens poétique qui traverse ma vie, qui dérange ma conscience, dans l’espoir de pouvoir le partager avec ceux qui contemplent mes œuvres.

 

Mon regard sur ma vie passée est un pouvoir qui domine, comme une divinité, le reste de mes sens et qui inspire mes créations. Je veux proposer à ceux qui voient mes peintures, qu'à travers elles, ils ne voient pas ma réalité reflétée. Ce sont plutôt eux qui donnent un sens à ma réalité, à travers l'abstraction, de façon à créer de nouveaux horizons de mon existence passée et de la leur aussi

 

Quand je compose un tableau, je pense qu'il doit être élégant, qu'il doit inciter à la contemplation. Mais avant de commencer à travailler, je définis la palette, c'est-à-dire les couleurs que je vais utiliser, couleurs chaudes, ou couleurs froides. Je travaille beaucoup avec le bleu. Aussi avec des couleurs rouges, terre et automne. J'aime les mettre en contraste avec le noir.

 

Si j'ai une idée sur la façon de commencer, je ne sais en général pas la façon dont le travail va se terminer. Je travaille en 3D, donc je mets du mastic et d'autres matériaux pour que l'œuvre ait du corps. Je ne recherche pas que ce soit plat, j'essaie de sortir de la toile et que ce relief abstrait attire le spectateur.

 

On observe parfois dans mon travail un contenu ludique. En effet, j’admire Magritte pour le jeu, Fader pour ses nuages, Bonnard et Monet pour la couleur, et le Douanier Rousseau pour son monde imaginaire de plantes et d’animaux qu’il n’avait jamais vu.

Rémy de Haenen Trass la ka monté raid, 2020 Oil on canvas (57 x 69 in / 144.78 x 175.26 cm)

 

 

Claire Richer: Pouvez-vous nous présenter votre prochaine exposition à Saint-Barth ?

 

Rémy de Haenen: Je pense intéressant de répondre avec les mots d’Andrea Jauregui :

 

"Remy de Haenen est un poète qui peint. Les treize peintures qui composent cette exposition ont été réalisées à Buenos Aires lors de la pandémie de Covid-19 comme une soupape de fuite vers l'isolement. Les œuvres, et leurs noms en Patois, évoquent un temps et un lieu qui n'existent plus, ses années d'enfance à Saint-Barth à la fin des années 1950, un monde enchanté, une vie simple en communion avec la nature.

 

Rémy restaure la pureté de son regard de gamin sur le chemin de la baie de Saint-Jean à la Côte Saline, de l'autre côté de l'île, où son père l'a envoyé chercher du ravitaillement pour nourrir les célèbres invités séjournant à l'Eden Rock Guest House, auberge et maison familiale. Dans ces près de quatre kilomètres de hauts et de bas, chargés de paniers et de pieds endoloris, les larges feuillages des arbres étaient un refuge ombragé contre le chaud soleil d'été. Flamboyant, Royal Poinciana, arbre aux fleurs de feu: assis sous la verrière colorée, entouré d'une beauté qu'il prenait alors pour éternelle, Rémy le gamin laissa son âme errer dans le ciel sans horizons, il s'enfuit vers la hauteur, il aspirait à voler dans l'avion de son père. C'est dans ce coin de son cosmos personnel, dans l'éclat de cette mémoire, où aujourd'hui il tisse le réel et l'irréel, le vécu et l'imaginé, et le transforme en art pour retrouver sa liberté.

 

La rêverie poétique déforme les formes et les couleurs, éloignant les images des détails naturalistes ou pittoresques. La palette vibrante des Caraïbes est atténuée. Les cieux sans fin sont des plans de bleu clair, rose et lilas. Les fleurs - rouges, oranges, jaunes - affichent leur texture épaisse sur un quadrillage presque géométrique de branches sombres, sans traces de feuillage. Le ciel, la mer, les branches et les fleurs se superposent, générant un rythme d'espace plein et vide à travers lequel la lumière filtre. La représentation, médiatisée par la fantaisie et la nostalgie, devient presque abstraite, élégante comme un foulard en soie Hermès.

 

Les œuvres de Rémy de Haenen sont une fenêtre sur le passé et, en même temps, sur une éternité de bien-être où l'enfant qu'il était vit encore et ne civilisera pas".- Andrea Jauregui, Historien d'Art.

 

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